J’ai passé une partie du weekend à digérer des statistiques sur le français.
C’est que Julie et moi préparons la sortie, en France, de notre livre sur la langue française. Coup de chance : l’Observatoire de la langue française vient de sortir La Langue française dans le monde 2010.
Il en ressort que notre obsession sur la protection linguistique (par ailleurs nécessaire) nous fait oublier que nous parlons une langue internationale forte – et que cet aveuglement nous empêche d’en profiter.
Combien parlent le français ?
La question est plus compliquée qu’il n’y paraît. Comment définir le locuteur d’une langue? Faut-il qu’il la parle, l’écrive, la lise parfaitement? Ou seulement la baragouine? Ou faut-il l’avoir comme langue maternelle?
Par exemple, si on se fonde sur une définition strictement ethnique (langue maternelle française), il n’y aurait que 68 millions de francophones dans le monde. Ce serait déjà pas mal, car seulement 137 des 6900 langues vivantes ont plus de cinq millions de locuteurs.
Mais ce serait se contenter de bien peu, car une telle définition exclut toute l’Afrique et le Moyen-Orient! Ce serait même ridicule quand on sait que, depuis 1993, le tiers des lauréats du prix Goncourt était libanais, tunisien, russe, américain, afghan et sénégalais! Bref, est-il logique que Nancy Huston (prix Femina 2006) soit une francophone à Paris et une anglophone ici?
À l’inverse, on ne peut pas simplement additionner les populations de tous les pays francophones (890 millions). Car bon nombre d’entre eux ne parlent pas un mot de français, à commencer par 22 millions de Canadiens.
225 millions
L’Observatoire de la langue française recense 225 millions de francophones et de francophones partiels (qui ne maîtrisent pas la langue dans toutes ses formes). Ce chiffre nous dit deux choses.
D’abord, plus de gens parlent le français que jamais dans son histoire. Il y a 15 ans, la même statistique était de l’ordre de 175 millions.
Surtout : les locuteurs du français en tant que langue maternelle sont très minoritaires parmi tous les locuteurs du français. Ce qui fait du français une langue très très internationale – beaucoup plus que l’espagnol, le mandarin ou le russe et certainement autant que l’anglais.
Peut-être 300 millions
Cette statistique – 225 millions de francophones – est certainement conservatrice, car elle ne tient aucun compte du fait que le français est largement enseigné dans tous les pays. Il est impossible que cela produise des Goncourt américains ou afghans, mais pas un seul francophone!
Par exemple, quelques très rares études donnent à penser qu’entre six et 12 millions d’Américains parlent le français, dont environ deux millions l’ayant pour langue maternelle. De même, environ 700 000 Israéliens, soit environ 10 % de la population, parlent le français.
Et que dire de l’Algérie, qui refuse de faire partie de la Francophonie, mais dont la population constitue le plus large bassin francophone hors de France avec la République Démocratique du Congo?
Bref, il est probable que le chiffre réel soit d’au moins de 300 millions de francophones.
Combien l’apprennent
J’ai été encore plus impressionné par les statistiques sur l’apprentissage du français.
Globalement, 116 millions de personnes apprennent le français ou en français. Les trois quarts sont dans les pays francophones, ce qui est normal. Mais un autre quart, environ 29 millions, l’apprennent ailleurs.
Ce chiffre est certainement sous-estimé, car il manque une bonne trentaine de pays à la statistique, dont le Brésil, le Pérou et la Suisse (non romande), où l’on sait que le français est largement enseigné.
Certains chiffres sont étonnants : par exemple, en Inde, 535 000 personnes apprennent le français chaque année, soit dix fois plus qu’en Chine. Les Japonais, eux, sont environ 200 000 à apprendre le français chaque année. Aux États-Unis, ils sont 1,6 million. En Italie, deux millions. Et autant d’Australiens (200 000) apprennent le français que les Britanniques, qui sont pourtant trois fois plus nombreux!
Pas le village d’Astérix
Ces données disent quoi?
D’abord que toute notre représentation collective sur la langue française – «qui résiste encore et toujours à l’envahisseur» – est franchement à côté de la plaque.
Par exemple, en Amérique, nous ne serions non pas un maigre huit millions de francophones, mais entre 20 et 30 millions : 9,5 au Canada + entre six et 12 millions d’Américains + cinq millions d’Haïtiens + deux ou trois millions de Latino-Américains, avec de fortes concentrations au Mexique, en Colombie, au Pérou, et au Brésil.
Comme partout sur la planète, la plupart de ces francophones n’ont pas le français pour langue maternelle.