Extrait du livre Le français, quelle histoire! (Chapitre 19)

Jusqu’en 1960, on distinguait clairement dans le discours la race française de la race anglaise. Dans l’Ouest canadien, par exemple, le Ku Klux Klan était ouvertement anti-français et anticatholique, et s’allia à maintes reprises aux partis conservateurs pour faire interdire l’enseignement du français. Le Klan mena également des actions contre les francophones du Maine.

Même au Canada, où le gouvernement fédéral s’était donné des règles sur les langues officielles dès 1867, ce même gouvernement s’abstint pendant près de cent deux ans de les faire respecter. Lorsque le Manitoba nia les garanties constitutionnelles à sa communauté française en 1890, Ottawa s’abstint de le critiquer. Il fallut des pressions considérables pour que ce gouvernement introduise en 1927 des mots français sur les timbres canadiens commémorant le soixantième anniversaire de l’Acte. Et il fallut attendre 1936 pour que le français apparaisse sur les billets de banque et les pièces de monnaie du Canada. Jusqu’à cette date, il n’était même pas légal d’écrire un chèque en français ! Et même vingt ans après la Première Guerre mondiale, l’armée canadienne n’avait toujours fait aucun effort pour introduire cette langue dans sa chaîne de commandement.

Si le français a survécu, c’est parce qu’il s’est trouvé des anglophones de bonne volonté qui ne voyaient pas de difficulté à la cohabitation ou qui, à tout le moins, toléraient le compromis.

Au Canada, il faut tout de même dire que les diverses tentatives d’assimilation des francophones eurent non seulement l’effet inverse, mais elles contribuèrent à créer non pas un, mais deux peuples francophones distincts : les Acadiens (sur le littoral atlantique) et les Canadiens français (parmi lesquels les Québécois forment le plus large groupe).

Au fil des siècles, et largement par réaction aux tentatives d’assimilation dont ils étaient l’objet, Acadiens et Canadiens français ont développé un sentiment d’identité quasi tribal si fort qu’ils ont refusé d’abandonner leur langue – à aucun prix. Ce sentiment est particulièrement profond chez les Acadiens, même s’il n’a jamais produit des actes de rébellion ouverte comme chez les Québécois et les Métis du Manitoba.