Extrait du livre Le français, quelle histoire! (Chapitre 2)
En avril 2004, Jean-Benoît s’est embarqué à Saint-Malo pour faire un voyage dans le temps à Jersey. Cette île de la Manche, située à seulement seize kilomètres de la côte normande, est une sorte de petite Normandie rêvée, aux tonalités bucoliques, où de petits sentiers s’entrecroisent dans un bocage magnifiquement dépourvu de prétention, entre ses vertes vallées, ses vieux murs et ses monuments. À marée basse, elle s’étend sur environ quatorze kilomètres sur dix.
La plupart des passagers du navire étaient des touristes qui faisaient un retour aux sources ou se dirigeaient vers leur compte en banque. Jersey, dépendance de la Couronne britannique, est en effet un paradis fiscal qui héberge cinq fois plus de capitaux étrangers que Monaco. Comme cette dernière, elle a décroché ce rôle grâce à son emplacement idéal – proche de la France, mais hors de l’Union européenne – et son vieux droit anglo-normand qui s’avère particulièrement bien adapté à la fuite de capitaux.
Seul touriste linguistique parmi la centaine de passagers, Jean- Benoît s’en allait à Jersey pour converser avec des locuteurs du jersiais, une variété locale du normand. Son but n’était pas d’examiner une relique linguistique, mais plutôt de faire l’expérience ethnologique du contact linguistique entre deux langues apparentées.
Pour une oreille non exercée, le jèrriais (le jersiais, en jersiais) sonne comme du français mal prononcé, bien qu’il s’agisse d’une langue à proprement parler, l’un des derniers exemples du vieux dialecte normand. Le jersiais a sa phonétique, sa syntaxe et son lexique. L’une de ses caractéristiques les plus frappantes tient dans son usage du son th, courant en anglais mais inexistant en français. Au lieu de père, mère et frère, les locuteurs du jersiais disent paithe, maithe et fraithe. Littérature se dit (et s’écrit) littéthatuthe. Certaines phrases sont parfaitement identiques au français, d’autres sont quasi inintelligibles, comme Clyiquez ichîn pouor dêchèrgi l’corrigeux d’êcrithie (traduction : cliquez ici pour télécharger le correcteur d’écriture).
En fait, les trois quarts du vocabulaire et de la grammaire du français et du jersiais sont communs, ce qui est énorme. Un francophone ayant une bonne oreille et une bonne tolérance pour les variations comprendra donc facilement la plus grande partie de la conversation.