Le Monde

Par Jean Fiawoumo

Les Américains n’y comprennent rien, mais rien. Ils ont beau y mettre du cœur et revoir leurs conceptions du monde, la France provoque chez eux un sentiment d’inquiétante étrangeté. Les économistes ne comprennent pas comment un pays, où les impôts et la dette publique sont si élevés, avec un taux de chômage endémique et une bureaucratie enracinée, est devenu la quatrième puissance économique mondiale.

Ils ne comprennent pas non plus comment on peut avoir le plus fort taux de productivité horaire dans ces conditions… Quant aux diététiciens, ils s’étonnent toujours du fait que les Français vivent si longtemps et n’ont pratiquement pas de problèmes d’obésité alors qu’ils boivent, fument et mangent gras. Non, vraiment, c’est un mystère. A cela s’ajoute l’inénarrable arrogance française, tant et tant rebattue.

Pour tenter de percer ces énigmes, un couple de journalistes canadiens a infiltré la France et les Français pendant deux ans. Ils se sont installés à Paris, ont adopté une vie sociale “à la française”, ont sillonné le territoire et visité les différents “pays” dont leurs amis français leur parlaient avec tant de passion. En adoptant une méthode d’anthropologue, ils ont tenté de décrypter les codes, us et coutumes des “indigènes”. Le résultat est un livre surprenant et non dénué d’humour, paru fin 2003 en Amérique du Nord (1). Il passe au crible les marottes françaises, du culte de l’Etat à “l’art de l’éloquence”, et décortique cet “esprit français”.

Premier constat : dans la société française il n’y a pas de coupure nette entre passé et présent, au contraire des Américains du Nord, pour qui le mélange des deux paraît contradictoire. C’est, pensent-ils, ce qui rend les Français “résolument modernes et férocement archaïques à la fois”. “Les Français ont inventé le système métrique, le code civil, le TGV et le Concorde. Mais ils produisent toujours des fromages, tel le roquefort, selon une recette vieille de douze siècles, et jouent au tarot, jeu de cartes italien qui date du Moyen Age.”

Instructif, ce livre nous apprend par exemple que les soldes sont une tradition qui descend des guildes marchandes du Moyen Age, ou que le fait de fermer les volets d’une maison – chose étrange aux yeux des Anglo-Saxons – serait un réflexe qui date de la taille, un impôt prélevé sous l’Ancien Régime. En effet, les envoyés du percepteur évaluaient son montant en regardant par les fenêtres…

Et cette étude de l’arrogance franchouillarde, alors ? La réponse est simple : c’est à cause d’une conception différente des sphères privée et publique. “Serré contre un inconnu dans le métro, un Américain va sourire et tenter de parler pour marquer la distance. Pour le Français, marquer la distance, c’est surtout ne rien dire.” De même, en France on n’hésite pas à exposer ses différends, car le débat fait partie de la sphère publique ; on en profite d’ailleurs pour exercer son “art de l’éloquence”. Pour les Américains, au contraire, le débat relève du domaine privé et il est de bon ton d’afficher l’harmonie, même si on n’est pas d’accord. Ça explique beaucoup de choses…

Nous conclurons comme le Wall Street Journal : “Après l’avoir lu, vous penserez toujours que les Français sont arrogants, distants et autoritaires, mais vous saurez pourquoi.”