Extrait du livre Les Français aussi ont un accent
Le Défilé du Quatorze-Juillet, c’est le grand événement qui marque la fin des soldes d’été et la fermeture temporaire annuelle de l’épicier du coin. L’événement le plus remarquable, c’est cette grande messe militariste sur l’autel de la République républicaine : le Défilé du Quatorze-Juillet.
Jamais vu un truc pareil. Une orgie de matériel.
Pendant une première demi-heure, ça défile : les polytechniciens, les légionnaires, les parachutistes, l’aviation, l’artillerie, la marine, les fusiliers-marins, le génie, la milice, la territoriale, la police, la gendarmerie, alouette ! En veux-tu, du planton ? Ben, en v’là ! Même les pompiers, tiens.
La première partie du défilé se termine en apothéose avec le défilé aérien : les Mirages avec leur fumée bleu-blanc-rouge, Les Mirages, les Rafales, les Coléoptères, les Bourdons et les Gros Bidons. Il ne manque que les missiles balistiques et la fusée Ariane en rase-mottes entre les piliers de l’Arc de Triomphe. Quel vacarme !
Avec la grosse quincaillerie, le défilé devient carrément soviétique. Les chefs de chars se tiennent perchés dans leur tourelle, raides comme une envie de pisser. Le sol tremble sous les chenilles. La mécanique roule en rangs serrés dans une gradation du plus anodin au plus meurtrier : chars very légers, chars légers, chars mi-légers, chars normaux, chars mi-lourds, chars lourds, chars very lourds, chars hyper lourds, et – le clou ! – les chars hyper extra lourds. Ensuite, nous avons droit aux lance-roquettes, aux radars anti-roquettes, puis aux roquettes anti-radars, suivis des radars anti-roquette-anti-radar, et enfin des roquettes anti-radar-anti-roquette – vous me suivez ? Puis, les organisateurs y vont carré dans la débauche de matériel : charrues anti-émeutes, canons à eau, ponts mobiles, excavatrices en tenue de camouflage, motos, voitures de polices, camions de pompier. Quand je vois les grenouilles des pompiers de Paris en combinaison étanche rouge dans leur zodiaque en remorque des camions rouges toutes cerises allumées, je trouve qu’ils en beurrent un peu trop épais côté étendard sanglant. En tout et pour tout, cela dure une heure – mais j’ai lu quelque part que le plus long fut le défilé de 1919 : six heures dix-huit minutes. Rien que du poilu!
Je dois dire que je suis étonné par cette démonstration. Au Canada, les défilés de la fête nationale ressemblent à des défilés du Père Noël : c’est plein de chars allégoriques à froufrou, de majorettes à paillettes, de musique de fanfare nègre de la Nouvelle-Orléans style O When The Saints. De temps en temps, on sort le bataillon d’anciens combattants et deux ou trois cornemuses pour montrer aux enfants ce que c’est que l’horreur de la guerre – affreux, la cornemuse, vraiment. Si le trésorier-payeur général se sent une fantaisie, ce qui est rare, ils mettent aussi une jeep – rarement.
Je trouve d’ailleurs la célébration de la prise de la Bastille un peu bizarre, je dois dire. Ce fut une révolte, à n’en pas douter. Mais les types ont massacré une garnison pour libérer deux ou trois prisonniers de droit commun. Ce fut bien davantage un malentendu qu’autre chose. Je sais bien que c’est l’acte fondateur de la Révolution française, mais ce fut tout de même une erreur. La nuit du quatre août et l’abolition des privilèges aristocratiques aurait fait aussi une belle fête, mais cela tombait pendant les vacances du mois d’août. Pensez donc ! Autant célébrer une erreur sur la personne.