Extrait du livre Le français, quelle histoire! (Chapitre 16)
C’est Victor Hugo (1802-1885) qui devint la grande figure des romantiques français. Sa vocation se révéla très tôt puisque ce fils d’un général de l’armée de Napoléon écrivit dans son cahier d’écolier, à 14 ans : « Je serai Chateaubriand ou rien. » Il commença son premier journal littéraire à 17 ans et obtint bientôt la reconnaissance avec ses poèmes et une série de romans populaires. Il écrivait avec une aisance et une liberté inhabituelles. À 21 ans, Hugo toucha une pension royale. En 1827, sa première pièce, Cromwell, le rendit célèbre. La préface – dans laquelle Hugo se livrait à un plaidoyer en faveur de ce qu’il appelait le grotesque (la réalité populaire) contre le canon classique de l’unité de temps, de lieu et d’action – fut considérée comme le manifeste du romantisme français. « Bien souvent, la cage des unités ne renferme qu’un squelette », écrivait-il. Quant à la pièce même, elle n’était surtout pas classique, avec ses centaines de personnages évoluant dans des dizaines de lieux.
Toujours empreint de romantisme, Hugo commença à expérimenter une nouvelle approche de la prose, fondée sur le récit de la vie de personnages imparfaits. C’est ainsi qu’une pauvre bohémienne, un bedeau difforme et un archidiacre libidineux devinrent les trois piliers de Notre-Dame de Paris. Cette histoire est mondialement connue, mais peu de gens savent que Hugo l’a écrite en partie afin de sauver la célèbre cathédrale gothique du pic des démolisseurs. Pendant la Révolution, Notre-Dame avait servi d’usine à salpêtre. Au XIXe siècle, elle avait souffert de tant de négligence que des constructeurs voulaient récupérer ses pierres pour la construction de ponts. L’art gothique était alors jugé laid et offensant. Que Victor Hugo ait donné pour cadre à son roman un tel édifice était un choix délibéré, qui reliait des personnages grotesques à cet art « laid ». De nombreux chapitres du roman constituent un plaidoyer afin de préserver l’architecture gothique – comme le dit Hugo, cet immense « livre de pierre » que lui, en tant que romantique, trouvait magnifique.