Une chronique de Jean-Benoît Nadeau, dans Le Devoir.

Statue monumentale de Crazy Horse, Dakota du sud.

Statue monumentale de Crazy Horse, Dakota du sud – photo de l’auteur.

En moins de dix jours, deux grands journaux ont publié de longs papiers sur les langues. Dans le Guardian, un commentaire sur l’apprentissage des langues. Dans le Washington Post, un portrait des langues du monde. Ils se rejoignent en faisant valoir que « 6000 langues sont menacées » et que « la moitié disparaîtront d’ici la fin du siècle ». Rien d’étonnant : ces deux rengaines reviennent périodiquement depuis que l’UNESCO, avec son Atlas des langues menacées, a attaché le grelot.

Je trouve qu’on va vite en affaire en prédisant l’extinction de la moitié des 6000 langues d’ici deux ou trois générations. Cela pue la légende urbaine et la victimisation. La faute à la mondialisation, affirme-t-on commodément. J’en cherche la preuve. C’est indéniable : il y a des langues plus menacées que d’autres. Mais à trop vouloir généraliser quelques milliers de situations particulières, on en vient à des lieux communs catastrophistes qui n’ont aucun sens.

Quelques statistiques d’abord. Sur les 6000 langues parlées sur la planète, moins de 10 comptent plus de 100 millions de locuteurs ; 140 sont parlées par plus de cinq millions de personnes ; et moins de 700 par plus de 500 000 personnes. Au plancher : 2000 langues sont parlées par moins de 1000 personnes. Entre les deux : 3500 langues parlées très diversement par des populations de 2000 à 500 000 personnes. Bref, 98 % des langues sont menacées selon le critère du nombre — comme 98 % des espèces animales. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Supposons la situation idéale : les 6000 langues sont parlées par cinq millions de personnes ; il faudrait alors que chaque être humain pratique quatre ou cinq langues, ce qui n’a aucun sens.

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