La Presse

Par Lysiane Gagnon

Voici un livre qui ferait un joli cadeau de Noël. Le problème, c’est que si vous commencez à le feuilleter avant de l’offrir, vous serez tenté de le garder pour vous. Un conseil: achetez-en deux!

J’avais lu avec intérêt la version anglaise de La grande aventure de la langue française, qui a été d’abord publiée sous le titre The Story of French. La version française, que vient de publier Québec-Amérique, saura plaire à tous ceux qui s’intéressent à notre langue sous un angle ou sous l’autre. Les enseignants devraient se faire un devoir de le proposer à leurs élèves, mais c’est aussi un bouquin que l’on peut lire à temps perdu, par pur plaisir.

C’est en effet une histoire fabuleuse que nous racontent Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau, associés dans la vie comme au travail. Ces deux excellents journalistes, qui ont publié moult livres et articles dans les deux langues, ont eu l’intrépidité de s’attaquer à ce vaste sujet qui va de la Gaule au Québec d’aujourd’hui en passant par Charlemagne, François 1er, la Révolution française et tous les territoires où le français s’est implanté à la faveur de la colonisation.

Le texte est clair et accessible. On y parle de la lente naissance du français, des événements historiques qui allaient finir par en faire la linga franca de la diplomatie internationale, et qui encore aujourd’hui font du français la langue la plus parlée (après l’anglais) sur tous les continents, une langue ouverte, moderne, en constante évolution, et qui peut aussi bien que l’anglais nommer le monde d’aujourd’hui.

Saviez-vous que le français n’est vraiment devenu la langue de la France qu’après la Révolution de 1789? Jusque-là, la majorité des Français parlaient des dialectes régionaux. Saviez-vous que l’anglais est la plus latine et la plus française des langues germaniques, et que le français est la plus germanique des langues latines? Saviez-vous que Dante, le poète italien, fut le premier à parler de la “langue d’oc”? Qui a dit: “Ma patrie, c’est la langue française”? Pourquoi les francophones sont-ils tous habités par “un sentiment d’exception culturelle”? Saviez-vous que le français est la deuxième langue seconde la plus étudiée dans le monde?

J’ai toutefois de fortes réserves sur deux points.

D’abord, les auteurs affirment tout de go que le Québec a été complètement coupé de la France jusqu’aux années 60. Où sont-ils allés chercher cela?

Au contraire, il y a eu beaucoup plus de rapports entre la France et les élites québécoises avant la Révolution tranquille qu’après. On n’a qu’à étudier l’histoire de la pensée québécoise des années 30 pour le constater. C’est en France que les étudiants allaient poursuivre leur formation (de nos jours ils vont aux États-Unis), c’est la France qui constituait la principale source d’inspiration des intellectuels québécois, et les classes instruites du Québec baignaient dans la littérature française et suivaient de près les productions artistiques française, tandis que les milieux populaires écoutaient Guétary, Trenet, Lucienne Boyer et les opérettes françaises.

Autre erreur, les auteurs, qui sont résolument contre toute norme, ont une vision réductrice de la langue. Pour eux, toutes les langues parlées en francophonie se valent, et ils n’accordent aucune valeur à la correction syntaxique, la clarté du propos, l’élégance du verbe, la maîtrise des niveaux de langage et la richesse du vocabulaire.

D’où il s’ensuit que la langue du Québec est aussi “bonne” que celle de la mère patrie. En outre, ils la caricaturent, confondant la langue archaïque des anciens ruraux ou la langue relâchée des villes avec le “français québécois”, alors qu’en réalité, la meilleure définition du français québécois, celui qui peut être compris partout au Québec et dans toute la francophonie, c’est, par exemple, la langue des présentateurs de Radio-Canada.

Les auteurs ont oublié que l’une des grandes forces du français, c’est sa valeur comme langue de communication internationale… mais encore faut-il, pour traverser les frontières, que l’on parle à peu près la même langue!

Or, contrairement à l’anglais, au portugais ou à l’espagnol, où la force du nombre se trouve dans les anciennes colonies (États-Unis, Brésil, Mexique…), c’est en France que réside la norme du français international, pour la simple raison que c’est, de très loin, le plus grand pays francophone.

Dommage que de telles failles ternissent un aussi belle recherche.